(image source: Cairn)
Savoirs et pouvoirs dans le gouvernement de l’Europe Pour une sociohistoire de l’archive européenne (Francisco Roa Bastos & Antoine Vauchez)
Abstract:
Cet article (et le dossier qu’il introduit) propose de renouveler l’étude des formes de connaissance de l’Europe à partir de la notion-test d’Archive. Reprise à la fois aux historiens et à L’archéologie du savoir de Michel Foucault, la notion d’Archive – ici retravaillée pour la mettre au service d’une sociohistoire attentive aussi bien aux acteurs, à leurs luttes d’intérêt qu’à leurs discours – permet d’inclure dans l’analyse des « savoirs d’Europe » ce qui a été jusqu’ici laissé dans l’ombre. Car si l’étude des savoirs de gouvernement transnationaux est en plein essor, elle s’est concentrée pour l’instant sur les catégories et les paradigmes les plus consacrés, et donc sur ce qu’on pourrait appeler la doxa européenne. Mais elle a laissé de côté tous les savoirs avortés de la « construction européenne » : les catégories oubliées, les objets perdus, les savoirs contestés et rejetés... bref, tous ces « échecs doxiques » que la notion d’Archive permet de prendre en compte, en élargissant la focale pour inclure tous les discours, souvent contradictoires, qui ont été formulés sur l’Europe, par des acteurs bien plus divers que les traditionnels « entrepreneurs d’Europe » bien identifiés. Une manière de réencastrer l’« Europe de Bruxelles » dans ses différents contextes historiques et sociaux, pour mieux en comprendre les logiques de structuration.Mettre l’Europe en boîtes L’édification des archives historiques de l’Union européenne (Morgane Le Boulay)
Abstract:
Monument en trompe-l’œil dans la mesure où nombre de documents n’y sont pas accessibles, les Archives historiques de l’Union européenne (AHUE) restent malgré tout l’un des éléments matériels et symboliques incarnant le pouvoir européen. Cet article montre qu’elles sont le fruit de la mobilisation de divers acteurs : institutions communautaires (au premier rang desquelles la Commission), acteurs historiques de la construction européenne, mais aussi historiens et archivistes. Ces « coentrepreneurs d’archives » ne sont pas uniquement animés par le souci de légitimer l’Union européenne. Malgré des conflits, ils coopèrent et privilégient une histoire officielle, celle des institutions et des dirigeants, au détriment d’autres visions de l’Europe moins héroïques qui ont été envisagées mais bientôt abandonnées. L’effet de ces archives sur les publications scientifiques doit cependant être nuancé, car les chercheurs utilisent aussi des sources complémentairesLes sciences sociales européennes font-elles l’Europe ? L’institut universitaire européen, le béhavioralisme et la légitimation de l’intégration européenne (Thibaud Boncourt)
Abstract:
L’Institut universitaire européen (IUE), ouvert en 1976 à Florence, incarne l’ambition de légitimer la construction européenne par la connaissance scientifique. Cet article cherche à comprendre comment ces injonctions politiques se réfractent dans l’activité scientifique de l’IUE, à identifier le type de savoirs produits à l’institut et à comprendre leur contribution à la structuration d’une archive européenne. À partir d’une étude de l’histoire du département de sciences politiques et sociales (SPS) sur la base d’archives diversifiées, il montre la manière dont s’impose au département une science politique béhavioraliste, quantitative et comparative de l’Europe. L’histoire de cette victoire paradigmatique met en évidence l’un des mécanismes par lesquels se structurent certaines des approches aujourd’hui centrales pour les études européennes.L’impossible doctrine européenne du service public. Aux origines du service d’intérêt économique général (1958-1968) (Mélanie Vay)
Abstract:
Cet article explore un recoin délaissé de l’Archive européenne, à savoir l’étonnant échec de la bipartition « public »-« privé » (pourtant si structurante à l’échelon national) à prendre racine dans les catégories d’entendement dominantes du « projet européen ». En repartant des conflits historiques des débuts de la Communauté européenne autour des notions d’« entreprise publique » et de « service d’intérêt économique général » (Sieg), on retrace l’impossible formation d’une doctrine européenne du service public, dans un contexte où le secteur étatique et para-étatique est pourtant florissant dans les six pays fondateurs. Observer la trajectoire de ces labels dominés permet de mieux comprendre comment s’est construite initialement la doxa économique européenne, mais aussi les savoirs qui ont été oubliés, dans l’« Archive » plus large de l’Europe.Un marché sans économistes ? La planification et l’impossible émergence d’une science économique européenne (1957-1967) (Hugo Canihac)
Abstract:
La contribution des savants à la construction européenne a fait l’objet d’un intérêt nouveau ces dernières années. Mais, si le rôle des juristes dans la production de formes de connaissance de l’Europe a été mis en évidence, la contribution des économistes semble étrangement limitée durant les premières années d’existence du Marché commun. C’est ce paradoxe d’un savoir économique qui ne « vient pas » au Marché commun qu’interroge cet article. Nous étudions pour cela les mobilisations, au début des années 1960, d’un collectif évoluant entre science économique et politique pour faire exister une « programmation économique communautaire ». Nous avançons que la difficulté à produire un savoir reconnu comme « scientifique » est une raison importante de la faiblesse de leur entreprise. Il s’agit alors de souligner la tension à laquelle est confrontée toute entreprise de mobilisation de la science (économique) dans le jeu politique : le succès des revendications d’un gouvernement « scientifique » dépend de la capacité de ses partisans non seulement à enrôler la science, mais aussi à stabiliser une distinction entre le savant et le politique.Penser l’État contre l’Europe La genèse d’une orthodoxie juridique dans la République fédérale d’Allemagne de 1949 à l’arrêt Maastricht (Christophe Majastre)
Abstract:
En prenant pour point de départ la décision sur le traité de Maastricht de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (CCF), cet article s’intéresse aux conditions de formalisation d’un « contre-savoir » juridique sur l’Europe. Dans l’ombre des juristes européens et des juges de la Cour de justice européenne qui constituent des objets privilégiés d’une sociologie politique de la construction européenne, les juges de la CCF se voient souvent attribuer un pouvoir particulier d’influence et de mise en forme de la politique européenne. L’arrêt dit Maastricht constitue à ce titre un épisode fondateur, qui a largement été interprété comme reflétant un point de vue souverainiste et une attitude hostile envers la construction européenne. Prenant le contrepied de cette lecture canonique, cet article montre que cette décision ne peut s’expliquer qu’au regard des luttes qui opposent les « légistes », les professeurs de droit public, pour le monopole de l’interprétation constitutionnelle. Il analyse ensuite la controverse constitutionnelle sur le traité de Maastricht pour montrer comment un groupe de professeurs de droit a imposé le « droit de l’État » comme savoir privilégié pour analyser le jeu politique.Du droit international au droit européen Une sociologie du droit social comme entreprise de cause (Karim Fertik & Julien Louis)
Abstract:
Sociologie politique du droit, cette recherche met en évidence les liens entre le développement après la Seconde Guerre mondiale du droit social international et la mise en place du droit social européen. En s’appuyant sur une sociologie de la mobilisation transnationale des professionnels du droit social, l’enquête analyse le rôle d’intermédiaires que jouent ces juristes (fonctionnaires nationaux et internationaux, universitaires) qui connectent champs académiques nationaux, administrations nationales et organisations internationales entre eux. L’article insiste en particulier sur l’importance des juristes de la Société internationale de droit du travail et de la Sécurité sociale, une association internationale créée avec l’aide de l’Organisation internationale du travail. L’article montre que le développement du droit social européen repose sur des conceptions et des pratiques professionnelles éprouvées internationalement. La mobilisation des juristes de droit social par les fonctionnaires des Communautés européennes rend ainsi le droit social européen dépendant de formes juridiques internationales préexistantes. Le droit social européen s’analyse donc comme le produit d’une régionalisation de savoirs juridiques internationaux.Read more on cairn.
(source: ESCLH Blog)