I.
La journée du 15 juin fut ouverte par le professeur
Reinhard STAUBER (Klagenfurt), qui présida un premier panel, consacré aux
acteurs et leurs perspectives. Le premier orateur fut Mark JARRETT (Stanford),
qui traita des Cent Jours, vu à partir des actions de Castlereagh en faveur de
la contre-révolution. Les Cent Jours furent le premier « test case » d’une
intervention alliée dans les affaires intérieures d’un autre Etat. Le Whig
Samuel Whitebread reprocha au Régent et à Castlereagh d’intervenir ainsi dans
la souveraineté de la France. Pour Jarett, deux questions sont essentielles :
1° comment Castlereagh reagit-il lors de l’évasion de Napoléon de l’Île d’Elbe
? 2° Que fit Castlereagh alors pour aider Louis XVIII ? Selon Jarrett, le gouvernement
anglais manquait terriblement d’information pertinente, et remplit les lacunes
en se basant sur ses propres jugements à priori. La Grande Bretagne aida Louis
XVIII, bien plus que n’importe quel acteur allié. Cependant, ce soutien ne fut
que conditionnel : Louis XVIII fut exhorté à entamer des réformes, ce qu’il ne
fit pas assez. Tout comme l’argument de la souveraineté française fut utilisé
par les Whigs, Castlereagh essaya de diminuer les ardeurs du duc de Wellington,
afin d’éviter la perception en France d’une dynastie Bourbon soutenue que par
l’étranger. Tout soutien anglais se devait d’être discret. Louis XVIII reçut
les instructions de rester en France, pendant que le Congrès dut se prononcer à
nouveau contre Napoléon et pour une « consultation » du roi Bourbon (art. 8,
Traité du 25 mars 1815). Louis XVIII fut instruit de renvoyer le comte de Blacas, fidèle d’avant la
Révolution, de nommer Talleyrand comme premier ministre, de prendre le régicide
et bonapartiste Fouché dans le gouvernement, d’attribuer ses compétences aux
ministres et de les rendre responsables devant le parlement, comme en
Angleterre. Finalement, de réunir ces dernières dans le Midi de la France, et
s’y rendre personnellement.
Ensuite,
Raphael CAHEN (Orléans) traita de Frédéric Gentz. Ce personnage fut au centre de
nombreuses spéculations et approximations littéraires autant
qu’historiographiques. Élève de Kant à Königsberg, auteur du Historisches Journal, et d’un traité Zum Ewigen Friede. Il fut traduit du Portugal
jusqu’en Suède, en passant par l’Angleterre et la Hollande, sans oublier la Russie et les Etats-Unis. Il quitte le service
administratif et diplomatique de la Prusse pour Vienne en 1802, par hargne
contre la paix de Bâle, qui réconcilia la Prusse avec la France. Figure typique
du monde cosmopolite des élites transnationales de la Restauration, Gentz noua
des contacts avec Cobbett, Louis Philippe d’Orléans, Goethe ou Schiller. Sa
théorie politique se retrouve en grande partie
dans trois essais: Sur la paix
perpétuelle, l’État de l’Europe avant et après la révolution française et les
Fragments de l’histoire moderne de l’équilibre politique de l’Europe. Il se dit
contre la monarchie universelle, contre l’état commercial fermé prôné par
Fichte et réalise une synthèse entre la Realpolitik et le monde des idées. Il
aspire à ce que le droit public de l’Europe
atteigne un haut degré d’ordre juridique, et se constitue formellement.
Ni totalement rénovateur, ni tout à fait conservateur, il prône un
conservatisme libéral par des réformes. Son plan européen se résume à une ligue
de onze États européens avec un congrès général comme colonne vertébrale. Quand on le voit exulter
l’ « insertion » du droit public de l’Europe au Congrès de Vienne par
Talleyrand, il est difficile de ne pas remarquer le contraste avec son mémoire
de février 1815 (écrit pour Metternich), dans lequel il ridiculise le congrès,
lequel n’aurait donné lieu qu’à de
simples découpages territoriaux entre
souverains. Pour autant, il jugea globalement positivement le système des
Congrès tel qu’il s’est développé jusqu’en 1823/1825. Cependant, même si le
système avait réussit à sécuriser la liberté modérée, si l’on pense aux régimes
constitutionnels français ou anglais, il
fut surtout selon Gentz une construction humaine, en besoin constant
d’adaptation. Au fond, le bohème cosmopolite Gentz, un des seuls acteurs de
premier plan né en dehors du milieu aristocrate, en fut en même temps le
penseur, l’artisan et le critique.
Le
professeur Michael ROHRSCHNEIDER (Cologne) présenta ensuite la collection «
Gentz Digital » (http://gentz-digital.ub.uni-koeln.de), fruit d’un projet à la
bibliothèque universitaire de Cologne. La collection léguée par l’homme
politique Herterich, assemblée pendant des décennies partout en Europe, a donné
lieu à une édition standardisée de 2.700 lettres, dont plus de la moitié n’ont
jamais fait l’objet d’une publication avant. Les diverses possibilités de
recherche (recherche par destinataire, recherche chronologique, registre),
ainsi que les introductions contextuelles en font un outil considérable pour la
recherche sur le Congrès et l’époque de Friedrich Gentz.
La
deuxième session, dédiée au Congres et la « périphérie » commença par une
intervention de Claudia REICHL-HAM (Musée militaire à Vienne). Elle mettait en
perspective la confrontation géopolitique entre les Habsbourg et les Ottomans,
du siège de Vienne (1683) à la première guerre mondiale. La paix de Bucarest de
1812 entre l’Empire Ottoman et le Tsar attribua la Moldavie et une partie de
la Géorgie à ce dernier. Après la campagne de Russie de Napoléon (1812-1813),
le Tsar prit la défense des orthodoxes au sein de l’Empire Ottoman. Ceci créa
des tensions avec Metternich et l’Empire des Habsbourg. Contrairement à la
politique traditionnelle de confrontation dans les Balkans, en 1821, Metternich
voulut éviter que la Russie n’intervienne pour affaiblir le Sultan. La crainte
du nationalisme grec et ses effets dévastateurs pour l’état multinational que
dirigeait l’empereur François fut trop grande. L’indépendance grecque
(1821-1830) se fit sans soutien actif de Vienne. Ainsi, les deux pôles de
confrontation entre les Ottomans et les Empires russe et Habsbourg furent en
place. L’accueil du Sultan au sein du Concert de l’Europe par le Traité de
Paris (1856) fut le signe pour l’Autriche de se réaligner sur Bucarest et
Belgrade.
Ensuite,
Friedemann PESTEL (Freiburg) traita d’une
perspective encore plus éloignée : celle du changement de régime dans les
colonies françaises des Antilles. Un corpus considérable de revues, de
pamphlets et de correspondance donne une image riche et nuancée d’une
perspective extra-européenne sur la Restauration (1814-1815) et le Congrès de
Vienne. La question de l’ « impossible Ancien Régime colonial » contraste avec
l’histoire extrêmement mouvementée des insurrections noires et des conflits
armées, qui permirent à Haiti d’occuper Saint-Domingue. Esclavage, noblesse,
pouvoirs du chef de l’Etat, reconnaissance internationale, amnistie ou rapports
avec les gouvernements successifs de Louis XVIII font un mélange complexe et
intriguant.
La
troisième session, Résultats, commença par une communication de Kathrin KINNINGER (Haus-, Hof-, und Staatsarchiv, Vienne) sur les aspects formels de
l’Acte Final du congrès. Non moins de 300 chartes sont conservées à Viennes
concernant le congrès. La Bulle d’Or et l’Acte Final sont par ailleurs les
seules pièces de la collection reprises au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Le 9
juin 1815, un premier concept fut rédigé, mais le processus d’échange des
ratifications (pour lequel l’acte final fut en réalité trop grand pour
l’insérer) dura jusqu’en 1820.
Ensuite,
le professeur MILOŠ VEC (Vienne) essaya de nuancer la vision du Congrès de
Vienne comme une étape de la juridicisation
des relations internationales. Les juristes ont tendance à analyser
l’histoire comme un récit linéaire vers toujours plus de régulation. Cependant,
il y a un déficit empirique, en ce que nous ne savons pas assez sur l’évolution
concrète, quantitative et qualitative de l’ « extension » du domaine du droit.
Il faudrait opposer « juridicisation » et « Rechtsvermeidung » ou stratégies
d’éviter une régulation juridique d’activités politiques ou sociétales. Par
exemple, ce ne fut qu’en 1901 qu’Hennis Taylor, dans son traité de droit international
public, parla de « quasi-législation » lors de conférences internationales.
Pour la fin du XIXe siècle, c’eût été exact. Cependant, ces « law-making
treaties » ou traités-loi ne peuvent pas être rétroprojectés. Les conférences
régulières depuis 1648 ne constituèrent point un « aéropage des Nations »,
comme l’exprimait Friedrich Liszt. L’objectif du Congrès de Vienne fut « d’unir
l’Europe à travers des traités, en vue d’un objectif commun », ou comme le
publiciste Lassa Oppenheim le reprit au début du XXe siècle, « de créer un
nouvel ordre, et un équilibre des pouvoirs frais ». Cependant, cet équilibre
fut bien problématique. Jean Louis Kluber déniait au principe d’équilibre des
pouvoirs toute nature décisive en droit des gens. Seuls les traités positifs
purent créer des normes. Pareillement, Henry Wheaton trouvait la doctrine
d’équilibre des pouvoirs très délicate, relevant de la politique, plutôt que du
droit international. Alphonse Rivier ou Heinrich Oppenheim furent du même avis.
Ensuite, il faudrait distinguer les règles concrètes des principes. Ces
derniers se situent à un méta-niveau et ont rapport aux structures
fondamentales, aux questions de justice. Leur application donne des résultats
spontanés, mais non prévisibles. L’équilibre des pouvoirs, selon Bulmerincq ou
von Martens, ne constitue alors point un principe, mais plutôt une critique du
droit des gens. Tout au plus, il forma le narratif de justification primaire
pour les interventions dans la souveraineté d’États tiers. Henry Maine, dans
les Whewell lectures on International Law, fit l’équation suivante : (A) les
grandes puissances sont opposées à la souveraineté populaire et au
constitutionalisme (B) un équilibre entre eux préserve ces positions, ce qui
fait que (C) l’équilibre des pouvoirs ne peut constituer un principe de droit.
Quid du congrès de Vienne alors ? Strupp le réduit à une mission politique,
garantir un résultat en termes de répartition de pouvoir. Hall le réduisit à
une référence sur les voies navigables. Le droit des gens se construit sur
l’auto-obligation des acteurs. Le droit représente une direction universelle de
légitimité de l’action politique. Les États ont tendance à éviter l’imposition
du droit sur leurs actions. Il y a une tendance à partir de 1815, mais on ne
peut la comparer à la période ultérieure du XIXe siècle tardif.
Le
dernier orateur fut Michel KÉRAUTRET (Assemblée Nationale). Sa communication traita le débat sur le
congrès de Vienne à la fin du XIXe siècle, plus précisément à travers le prisme
de l’alliance franco-russe, conclue en 1891. Déjà en 1814-1815, Talleyrand
aurait recherché l’alliance du Tsar contre l’Autriche dans la discussion sur le
sort de la Saxe. Louis XVIII, par ses liens familiaux, soutenait ce dernier
monarque contre les prétentions du roi de Prusse, qui voulut mettre la main
dessus. Ceci afin d’assurer le Tsar du Grand-Duché de Varsovie, promis dans un
stade antérieur à la Prusse. La piste d’une alliance franco-russe fut
abandonnée le 3 janvier 1815, quand Castlereagh signa une alliance avec la
France. De fait, Talleyrand avait réussi à faire sortir la Grande-Bretagne du
giron de l’alliance anti-française. La décision d’ainsi laisser tomber une
combinaison russe fut déplorée par Pasquier, et plus tard par Thiers et
Delcastel. La Russie fut le meilleur soutien de Louis XVIII et la maison de
Bourbon. Talleyrand aurait dépréciée la politique française, ou l’aurait rendue
stérile, en soutenant ses « ennemis naturels » anglo-autrichiens et donc en
ôtant à la France ces grandes ambitions potentielles. Pozzo di Borgo aurait
offert son soutien à Talleyrand pour annexer une partie de la rive gauche du
Rhin, mais en vain. L’Autriche et la Grande Bretagne auraient été laissées à la
direction du Concert de l’Europe. Ceci alors que le soutien du Tsar fut
essentiel en 1860, afin d’éviter un véto anglais de l’acquisition par Napoléon
III de Nice et la Savoie. La publication en 1894 des mémoires de Pasquier
coïncidait avec l’alliance franco-russe. Dans l’historiographie française du
XIXe siècle tardif, le groupe autour de l’Institut, d’Haussonville ou de
Broglie soutenaient cependant une alliance anglaise, rejoints par les
orléanistes. Les légitimistes, par contre, furent en faveur d’une alliance
russe. Ainsi, les clivages politiques français du XIXe siècle se recoupent avec
la question de l’alliance avec le Tsar. Jusqu’aujourd’hui, la droite gaulliste
soutient la Russie, la droite atlantiste ou les socio-démocrates choisissant la
position occidentale sur l’Ukraine.
II.
Dans sa conférence du soir, introduite par le Professeur
Thomas MAISSEN (IHA), le Professeur Heinz DUCHHARDT (IEG Mainz) a souligné
l’aspect global des décisions autour du Congrès de Vienne, à l’image du contrat
commercial du Royaume Uni avec le roi du Sénégal dans le cadre de la fin de la
traite ou encore de l’île de Ceylan reprise aux hollandais. Ou encore de la
rencontre des émissaires anglais et américains à Gand en 1814 à l’issu de la «
seconde guerre d’indépendance ».
Enfin, il a rappelé que dès la deuxième paix de Paris les
principes du concert européen et le droit d’intervention étaient posés mais que
le système européen avait changé de nature après les révolutions
sud-américaines et l’émergence de la doctrine Monroe de non-intervention.
Comme bilan du Congrès, il note un nouvel ordre des
choses en Europe, de nouvelles règles de diplomatie et la liberté de
circulation des fleuves. C’est aussi le début de l’époque de l’impérialisme.
Dans son commentaire, le Professeur Jacques Olivier BOUDON (Paris-Sorbonne) rappelle l’importance des Cent-jours et le fait que
l’acte final du Congrès de Vienne fut signé alors que l’Europe était de nouveau
en guerre. Il trouve particulièrement intéressant la perspective de la Global
history laquelle permet de décentrer le regard vers une histoire mondiale de la
paix. Il note que déjà l’historiographie de la révolution atlantique avait
insisté sur la longue durée et la globalité des phénomènes. Il souligne ensuite
l’importance de la Pax Britannica et le
rôle du marché global dans les discussions sur l’abolition de la traite. Il
cite l’exemple du Sénégal où à partir de 1817 la traite loin de disparaître
augmente au contraire, ce qui est un exemple parmi d’autres du peu d’impact de
la déclaration générale d’abolition de la traite de l’Acte final. Pour lui
également l’orient (sous-entendu l’empire ottoman) état présent dans toutes les
têtes sans participer officiellement aux négociations de 1814-1815. Enfin, il
souligne également l’importance des empires et l’émergence de nouvelles
pratiques internationales d’un droit humanitaire et de nouvelles règles
concernant les prisonniers de guerre.
Duchhardt reprend la parole et insiste sur le fait que
l’Inde était une zone de contact russo-anglaise, il souligne à son tour
l’augmentation de la traité après 1815 et l’importance de l’historiographie de
la révolution atlantique. Plusieurs questions sont soulevées à l’image de
l’importance des constitutions internes des Etats. Duchhardt rappelle que
l’idée de constitution est présente dans l’Acte final de même que l’idée de
Nation. Tout comme l’idée du principe monarchique. Il questionne ensuite le
concept de Restauration et remet en cause l’idée que la génération du Congrès
de Vienne n’aurait pas du tout pris en compte les mouvements constitutionnels
en rappelant les exemples norvégiens, suédois, puis les discussion à Londres
après la révolution belge. Enfin, un concert du Kreisler-Trio Wien, ponctué par
des commentaires du fameux critique musical Wilhelm Sinkovicz, a clôturé cette
belle et fructueuse journée de travail.
Le lendemain, la première session, sous la présidence de
Michel KERAUTRET, était consacrée au Congrès de Vienne comme événement et
forum. Monica KURZEL-RUNTSCHEINER (Kaiserliche Wagenburg Vienne) nous a ainsi
présenté le rôle des carrosses pendant le congrès en insistant sur la signification
du Congrès pour la ville de Vienne. A travers la correspondance du comte de
Trauttmansdorff responsable de l’organisation, Mme Kurzel-Runtschneiner a
minutieusement rappelé toute la logistique du Congrès. Pour faire face à
l’arrivée de 40 000 à 100 000 étrangers supplémentaires la ville de 350 000
habitants a mis en place un système de voiture avec un service de location
opérant 24h/24h. 170 nouvelles voitures ont ainsi été construites pour
l’occasion. D’autre part, alors même que les finances de l’Autriche étaient
depuis l’occupation de 1805 et 1809 et à la suite des guerres de coalition en
mauvaise état, le coût du Congrès s’est avéré trois fois plus élevé que prévu.
De plus, la sécurité ne semble pas avoir été une question pour les autorités,
les monarques ayant été souvent décrits par les contemporains qui avaient
participé aux fêtes publiques comme des « enfants en vacances ». Enfin, les
viennois ont augmenté de manière drastique le prix des loyers pour les
étrangers.
Marion KOSCHIER (Klagenfurt) a ensuite poursuivi la
session sur le rôle des banquiers pendant le Congrès. Elle a rappelé au
préalable la situation déplorable des finances publiques non seulement en
Autriche mais également en Prusse et au Danemark, sans oublier l’inflation en Russie
et en Espagne. En 1815, le centre des finances européennes s’était
incontestablement déplacé d’Amsterdam vers Londres. Des grandes familles à
l’image des Rothschild et des frères Baring ont joué un rôle fondamental dans
la construction d’un système de paix européen à travers les congrès de 1815 à
1823. Ainsi ces « agents professionnels » à l’image de Bollmann (agent de
Baring) sont devenus des membres incontournables de réseaux transnationaux
innovants d’échanges informels et institutionnalisés. Bollmann avait ainsi
proposé d’exporter du mercure en Amérique du Sud ou encore diffusé un pamphlet
sur les finances publiques dans lequel il préconise la création de banques
nationales (en Autriche elle sera bien crée en 1816). De même, il effectue à la
même époque du Lobbying en faveur de la mise en place de ligne de bateaux à
vapeur.
Florian KERSCHBAUMER (Klagenfurt) a présenté ensuite la
pensée des « présocialistes » européens en se penchant notamment sur l’ouvrage
de Saint-Simon et Thierry De la réorganisation de la société européenne (1814).
Dans son livre dédié au Tsar Alexandre, les deux auteurs se font les
précurseurs d’une Europe unie avec un parlement européen à deux chambres sur le
modèle anglais. Ils annoncent également une « époque dorée » à venir et vont
obtenir un grand succès commercial. Au même moment William Godwin publie
également des articles utopistes dans la presse anglaise tandis que Robert Owen
va chercher pendant le Congrès d’Aix-la-Chapelle à sensibiliser les élites aux
questions sociales à l’image du temps de travail et de l’interdiction du
travail des enfants. De même, il envoie deux essais sur ces questions aux
gouvernements européens et américains. Mais, même si Owen a obtenu des
rendez-vous avec la sœur du Tsar, la délégation anglaise et Friedrich Gentz,
les élites n’ont pas donné suite à ses propositions.
Sarah LENTZ (Brême) a ensuite présenté ses recherches
doctorales en cours sur le rôle de la délégation prussienne au Congrès de
Vienne sur la question de l’abolition de la traite à travers la correspondance
diplomatique entre les diplomates anglais et prussiens. Elle a notamment
rappelé le rôle central de William Wilbeforce dans les réseaux abolitionnistes
pour illustrer son propos.
Enfin Silvia RICHTER (Berlin) est revenue sur la question
de l’émancipation des juifs au Congrès de Vienne par le biais de l’exemple de
Guillaume de Humboldt. Elle a ainsi rappelé les divers réseaux notamment ceux
de Baruch pour les juifs de Francfort et de Buchholz pour ceux des villes de la
Hanse. Puis, Silvia RICHTER a insisté sur l’ambivalence des intellectuels à
l’époque à l’image de Humboldt proche des salons d’Henriette Herz et Rahel
Levin à Berlin mais très critique vis-à-vis des juifs dans ses écrits. Enfin,
la déclaration de principe du Congrès de Vienne a eu un effet contraire.
Puisque le Ghetto est réintroduit à Francfort et les juifs n’ont pas obtenu de
fait l’émancipation civile et politique. Même si, il y a bien une émancipation
culturelle et financière surtout à Vienne et à Paris.
Le Professeur Heinz DUCHHARDT a conclu la journée par des
«considérations subjectives ». Pour lui, il est clair qu’il ne faut plus
employer la particule « von » pour désigner Friedrich Gentz. Puisque son titre
de noblesse suédois n’a jamais été reconnu en Autriche et il est né et resté,
au fond, toute sa vie un intellectuel « bourgeois bohème ». Il conviendrait de
continuer à accorder plus d’importance aux « personnages secondaires » à
l’image de Wacken ou encore Hoffmann qui tenait le protocole de la
commission des statistiques. De même le rôle de Friedrich Schlegel ou encore
des « acteurs professionnels » à l’image de Bollmann de la délégation des
libraires de Cotta ou encore celle des abolitionnistes de même que les « pré
socialistes » devraient être plus étudiés en cherchant les ruptures et les
continuités dans les divers réseaux. De même l’espionnage et le
contre-espionnage est un désidérata de la recherche ou encore l’importance des
acteurs à la périphérie, l’Empire ottoman, les Etats-Unis ou même les provinces
italiennes. Le professeur DUCHHARDT s’est également interrogé sur l’importance
du centenaire du Congrès en 1914. Un jubilé était-il prévu dans les divers pays
européens? Enfin il conviendrait d’effectuer aussi plus de recherches sur les délégations
espagnoles, portugaises et suédoises. Ensuite plusieurs questions et
commentaires sont venus de la salle. A l’image d’une publication des sources du
Congrès sur le modèle des Actes des traités de Westphalie. De même la question
de la réception culturelle et la mémoire du Congrès apparait être fondamentale.
Une redéfinition de la chronologie et de l’espace apparaît également
importante. En Guadeloupe par exemple une bataille a opposé les alliés aux
Français le 18 août 1815 (2 mois après Waterloo).
Enfin les participants ont visité l’exposition Le congrès
de Vienne ou l’invention d’une nouvelle Europe au musée Carnavalet. Une table
ronde se tenait également dans le salon Bouvier du musée sous la présidence de
Thierry LENTZ (Fondation Napoléon). Les participants cosmopolites de la
Conférence n’ont finalement pas assisté à cette table ronde « franco-française
».